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Il n’y a pas d’Eve Et s’il n’y a pas d’Eve, Lilith ne fut jamais chassée du jardin d’Eden Elle ne se battit pas avec Adam pour le contrôle Eux deux le savaient plus fort, ensemble Il accepta d’être en dessous, elle ne fut jamais changée en serpent Elle n’avait pas commis de faute, il l’aimait inchangée Il n’y eut pas de péché originel, pas d’arbre ni de fruit Deux corps enroulés, Ils aimaient tant ça. Puis il y eut la descendance Celle qui ne porta pas le poids de la faute Celle qui fière honora Lilith des millénaires durant Celle qui n’oublia pas jusqu’à... La voix s’arrête brusquement, je l’entends boire, je ne peux discerner ses traits dans la pénombre. Le son de sa voix est tantôt doux et enveloppant, tantôt rauque comme surgi des profondeurs de sa mémoire. Elle reprend. Mais l’égalité ne saurait durer, la jalousie eut raison d’eux La tyrannie s’installa sur la ségrégation des sexes Instaurant la suprématie totale du règne des guerriers et de leur roi Les femmes séparées à la naissance Les mamas, les elwas La mère, la démone ; on y revient toujours Mais l’histoire ne s’arrête pas là, c’est là qu’elle commence. La révolte, l’exil, la reconstruction ailleurs Areina, puis Lilly et Orgia Dotées d’une liberté que seul apporte le courage Tout vouloir puis tout sacrifier sur l’autel de la liberté Elles sont la trace d’une alternative à l’inévitable Voici leur histoire L’histoire raconte qu’Eve ne fut pas créée Lilith ne fut pas bannie et condamnée à assassiner ses propres enfants Elle n’eut pas à tout sacrifier pour sa liberté Elle demeura aux côtés d’Adam, qui refusa l’instinct traître du dominant. Il n’y eut pas de chaos, pas de lutte, l’alliance égale de deux corps. Lilith faîte de terre, femme sauvage, aima Adam intensément, instantanément. Il l’aima inconditionnellement. Il n’y eut pas de péché originel, ils découvrirent l’amour sans l’aide d’une pomme. Après trois années de bonheur transi, ils eurent leur premier enfant, premier Homme. C’est à sa naissance qu’ils devinrent mortels. L’enfantement n’est pas chose divine. Longtemps après la mort d’Adam et Lilith, leurs descendants continuèrent de transmettre le sens d’une équité totale entre hommes et femmes, socle de leurs origines. De longues décennies de paix et de prospérité terrestre puis la guerre éclate. La beauté des filles de Lilith génère haines et jalousies, un cortège d’hommes et de femmes à parts égales, renverse la descendance directe de Lilith. En pleine nuit, le groupe attaque la tribu par le feu. Après un long combat meurtrier, la tribu de Lilith est forcée d’abandonner et sera enfermée dans une grotte souterraine où beaucoup d’entre eux périront faute de nourriture suffisante. Peu à peu dans le groupe victorieux, les hommes prennent le pouvoir sur les femmes. Le sens de l’équité promue par Lilith et Adam, est renversé. Les femmes deviennent la cible de tous les abus de contrôle. Les places au palais sont rares et la zizanie s’installe entre elles pour un petit morceau de pouvoir, repoussant l’échéance d’une révolte. Après avoir connu un régime collectif, équitable et juste ; le peuple vit désormais sous la domination d’un seul homme, un roi tout puissant, qui a droit de vie et de mort sur ses sujets. Ce roi s’appelle Amenatos. Le roi Amenatos instaure un régime autoritaire et violent où les femmes les plus faibles sont éliminées dès la naissance. Seules celles qui peuvent enfanter des enfants solides pour la descendance, ou celles touchées par la grâce de Lilith, sont épargnées. Areina naît en 508 A.L (Après Lilith), son nom officiel, Eliade III, elle le reçoit à la naissance tandis qu’un fonctionnaire du roi la met dans la catégorie mamas « mère », qui la départage des elwas« beautés » et fort heureusement des dernières, tuées pour leur fragilité, anonymes. Les mamas, les plus robustes, portent les enfants des guerriers du roi. Les elwas accèdent à une vie protégée au palais, vénérées pour leurs charmes auxquels elles promettent de se consacrer sans failles. Elles signent dès leur arrivée un contrat qui les lie à vie au Roi et au Palais. Le roi Amenatos choisit ses sept femmes parmi les plus robustes et charnues de toutes, les mayas. Chargées de porter la descendance sacrée, elles vivent dans un château dont seul le roi connait l’emplacement exact. Elles étaient gardées par un monstre effrayant à trois têtes de lions et au corps de dragon. On dit qu’un jour, un homme fou amoureux de l’une des mayas, périt tandis qu’il traversait le lac le séparant de sa belle qui se précipita dans le vide de désespoir. Areina, fille de Minéa, grandit parmi les mamas, mères des guerriers. Celles-ci, contrairement aux mayas (mères sacrées) et aux elwas (beautés), vivent dans une totale pauvreté, au pied du palais qui est perché sur une haute montagne. Parquées dans la vallée, loin de toute ressource naturelle, elles vivent sous tutelle. Le régime leur apporte chaque semaine la nourriture vitale. Installées telles des proies en cages, les mamas ont développé un sens communautaire fort qui les amène peu à peu à créer leur propre système social, linguistique et artisanal; dans l’ignorance totale du roi et de ses disciples. Assuré de leur totale obédience, le roi Amenatos cède peu à peu quelques maigres libertés comme celle de se réunir et jouer de la musique, danser et sculpter des objets dont on retrouva le plus fameux, une vénus ancestrale revêtant les traits de Lilith. Peu à peu, cette liberté amène aux échanges et les femmes prennent conscience de leur statut. Elles se mettent à forger des armes de poing, apprendre la lutte, rêver à des temps plus libres mais ne cesseront alors, de repousser le temps de la révolte. Areina grandit protégée par sa mère, Minéa qui encourage très tôt l’imaginaire et le courage de sa fille. Chaque nuit, elle lui raconte dans le détail, l’histoire de ses ancêtres. Minéa vénère Lilith dont elle pleure le renversement passé et l’égalité dont elle était l’instigatrice. Elle apprend à sa fille à observer autour d’elle, et se faire confiance, à composer avec le doute et la violence intérieure qui l’habite, aussi. Minéa est parvenue à protéger sa fille des assauts sexuels des soldats, jusqu’à sa mort. Usant de divers subterfuges et magies éphémères, elle se fait passer pour sa fille. Elle parvient ainsi à éviter à sa fille les grossesses à répétition et l’abandon terrible des enfants de sexe masculin. Areina grandit dans un univers de paix et de joie jusqu’à ce fameux jour où sa vie bascule lorsque sa mère est assassinée sous ses yeux, pour avoir caché son fils aux guerriers. A la naissance, les fils allaient aux pères, les filles restaient dans la vallée. Quiconque dérogeait à cette règle se voyait condamné à la peine capitale. Areina ne voulut pas partir sans les mamas et décida d’utiliser sa vengeance pour renverser le régime une fois pour toutes. Une année durant, sous son égide, le soulèvement des Mamas se prépare, la nuit. Areina devient alors la guerrière stratège et légendaire qu’elle ne cessa plus d’être. Elle réalise qu’elle a toujours su se battre, tout lui est naturel, elle se découvre une passion pour le combat. Le plan est simple, encercler les hommes lors d’une des visites « conjugales » des guerriers en fin de journée. Puis s’emparer des armes et prendre le palais d’assaut au petit jour. Après plusieurs heures de lutte, elles occupent le palais et tiennent en otage l’ensemble de la famille régnante, les elwas, les soldats et les conseillers du roi. Elles tuent le roi et ses proches et laissent la vie sauve aux autres qu’elles prennent en otage. Elles découvrent la salle souterraine où étaient gardés les fils jusqu’à ce qu’ils soient en âge de devenir soldats. Les Mamas retrouvent avec émotion, les fils qu’elles n’ont jamais connus. Ils les regardent ahuris, ne sachant pas bien qui sont ces femmes en larmes autour d’eux. Elles emporteront les richesses du palais qui leur permettront de survivre pendant le long voyage qui les attend. Les Mamas se mettent en route pour une nouvelle vie, le premier geste qu’elles font est de se renommer les unes, les autres. C’est en tant que femmes libres qu’elles quittent le territoire funeste de leur esclavage. C’est là qu’Eliade III devient Areina. Fières, la tête haute, elles ont leur propre nom, leur corps leur appartient. Elles se mettent à rêver et faire des projets, ce qui leur avait été interdit depuis si longtemps. La majorité d’entre elles refuseront de vivre avec un homme, tant le règne d’Aménatos les avait rendues méfiantes à leur égard. Certaines trouveront le courage d’aimer à nouveau, pour la plupart, d’autres femmes. Les Elwas auront la possibilité de choisir de se rallier à la tribu d’Areina ou partir faire leur vie ailleurs. La grande majorité choisira de la suivre pour créer ensuite leur propre tribu voisine, où elles développeront l’art de l’amour lesbien. Jamais plus elles ne se sacrifièrent pour l’adoration des hommes. Leur beauté d’artifice, asservie, devint libre et naturelle. Au départ plusieurs centaines, elles ne sont qu’une poignée à suivre Areina jusqu’au bout du voyage, après des années d’exil. Les soldats pris en otage sont libérés dans les parties les plus reculées et désertiques du voyage, un à un. Leurs mères font le choix de rester avec eux et promettent de perpétuer l’égalité voulue par Areina et avant elle par Lilith. Les Mamas, les anciennes elwas et Liam le petit frère d’Areina s’installeront sur une île majestueuse, fertile et exotique, première d’un collège d’îles invisibles car en parties ensevelies en dessous du niveau de l’eau. Elles construiront de leurs mains les maisons puis les ponts, routes et écoles de la communauté. Rapidement la nouvelle tribu devient lieu de ralliement pour tous les sages et savants aux alentours. Elles prennent très au sérieux leur rôle de transmission et partagent avec des générations d’hommes et de femmes, voyageurs et passants, l’histoire terrible de leur esclavage et des horreurs résultant de l’inégalité entre hommes et femmes. « Une société où les femmes sont maltraitées et une société malade », avait coutume de dire Areina. Areina aura une grossesse tardive comparativement aux femmes de sa tribu qui enfantaient dès la puberté. Elle attendra la liberté et la fin de l’exil pour donner naissance à son premier enfant. Le père est un voyageur solitaire dont nul ne connait l’histoire. Il demanda refuge à Areina, un jour d’été et ne repartit jamais. Son fils, Ewan, sera le premier homme à jouer un rôle important dans la communauté. Elle aura une fille, un an après, puis perdra son mari, assassiné par erreur à sa place, le jour de ses 50 ans. Sa fille, Allya s’oppose très jeune à sa mère et refuse l’égalité totale entre hommes et femmes instaurée. Elle considère que les femmes sont nettement supérieures aux hommes et prône ouvertement l’esclavage de ces derniers. Violente et incontrôlable elle est exclue de la communauté à l’âge de 12 ans alors qu’elle est surprise en train de torturer un jeune garçon qui lui avait déclaré son amour. Elle sera à l’origine de la première tribu amazone de l’histoire qui fut aussi la plus sauvage. Des récits de cannibalisme et séances de tortures collectives ont hanté les chaumières avoisinantes, des années durant. Areina ne sait plus bien qui croire et opte pour l’oubli tant la souffrance de cette séparation lui pèse. Ewan lui, est obsédé par la disparition de sa sœur cadette, et décide de partir à sa recherche à sa majorité. Il reviendra plusieurs années après et refusera jusqu’à sa mort de raconter son voyage. Ewan aima Nouria, femme orientale de 10 ans son aînée qui lui donna trois filles, dont l’une devint la mère de Lilly. Areina aima à la folie ses petites filles auxquelles elle racontait l’histoire de ses ancêtres, la révolte et l’exil. Elle avait un faible pour Lilly. Il n’était pas rare de les voir ensemble, en pleine discussion qui se faisait murmure dès que l’on s’approchait. Elles marchaient longuement sur les côtes de l’île. Areina lui apprit à chasser et à être autonome en pleine nature. Areina comprenait Lilly et retrouvait probablement un peu d’elle dans cette jeune fille colérique et révoltée. Elle mourut un jour de printemps, à 72 ans. LILLY Lilly est la petite fille d’Areina, la fille cadette d’Ewan. Choyée, elle grandit dans un environnement paisible et équilibré avec des parents amoureux. Particulièrement proche de sa grand-mère Areina, elle passe son enfance à la suivre partout. Lilly rêve très tôt de révolte et cherche autour d’elle des raisons de « s’opposer ». Solitaire, elle passe ses journées avec les loups, ses animaux fétiches dont elle apprend le mode de vie et le langage. Elle fut nommée Lilly pour ses nombreux tatouages et sa ressemblance forte avec Lilith dont elle hérita la grande beauté et l’esprit indomptable. Lilith vit sa beauté comme une malédiction qui lui valait le désir inaltéré des uns et la cruelle jalousie des autres. Cette beauté héritée des « elwas », Lilly la malmène tout au long de sa vie, refusant disait-elle de « jouer le jeu ». Pour Lilly, être belle c’était forcément se mettre au service du pouvoir. Nerveuse et colérique, elle développe très tôt une forme rare de psoriasis qui lui couvre les jambes, la démangeant terriblement. Apaisée par le seul contact de l’eau, elle passe des heures à nager dans la mer Ourdé qui borde son village. Elle se fit faire son premier tatouage à l’âge de 15 ans qui lui couvrait une partie du menton et du cou jusqu’au creux des épaules. Le dessin représentait la carte sacrée du royaume des loups. Aimant le risque, Lilly se mesura aux animaux les plus féroces, combats dont elle porte les traces sur ses bras et jambes. Très vite, les autres enfants de la tribu eurent peur de Lilly qui fut surnommée la bête. Ses parents, ne sachant plus comment apaiser leur fille ; n’eurent d’autre choix que d’accepter son départ qu’elle réclamait avec ardeur depuis ses 10 ans. Elle partit le jour de ses 16 ans. Son père attendit son retour chaque jour, au pied de l’arbre où elle avait vu le jour. Elle partit sept longues années. Lilly prit la route pour un long voyage où elle finit par trouver sa voie, presque par hasard. Elle alla au Nord, dans les plaines de la Scandinavie puis au sud jusqu’au golfe d’Orient. Alors qu’elle venait d’arriver dans un petit village du grand Nord, elle prit refuge au pied d’une clairière. Réveillée en pleine nuit par des cris stridents, elle s’aventura dans la nuit. Douée d’une vision nocturne féline, elle repéra rapidement une jeune femme attachée au centre de ce qui ressemblait à un rituel d’une rare violence. Elle s’élança avec sa hâche et son poignard et tua un à un les cinq hommes lancés dans une danse macabre autour de la jeune fille quelle libéra. Grièvement blessée, Lilly soigna les plaies de la jeune fille qu’elle protégea nuit et jours. Une fois guérie, Lilly la raccompagna dans sa tribu d’origine. Elle y rencontra le père de la jeune fille, émerveillé par le courage de Lilly, qui lui demanda de rester pour former sa population féminine au combat. Régulièrement kidnappées par des guerriers de passage, les femmes disparaissaient sans jamais laisser de trace. Lilly hésita, elle voulait avancer, continuer de vivre libre et sans responsabilité mais une partie d’elle comprit que cette expérience serait décisive. En peu de temps, Lilly créa la première école de femmes où celles ci venaient de loin, se former à l’art du combat et la maîtrise des armes blanches. Quand elle jugea qu’elle avait accompli sa tâche, elle reprit la route en direction de sa communauté. A son arrivée, elle fut accueillie par son père, ému aux larmes de revoir sa fille qu’il pensait partie à jamais. Elle en imposait par sa force tranquille et sa beauté apaisée. Elle ne faisait plus peur mais inspirait le respect et l’admiration des siens qui pour la plupart, n’avaient jamais quitté le territoire de la communauté. Elle devint rapidement l’équivalent d’un Maire actuel. Lilly modernisa entièrement sa communauté qui n’avait pas beaucoup évolué depuis sa création par les mamas. Elle renouvela : écoles, transports, cultures et festivités artistiques. Les loups et les félins avoisinants vinrent aider à la reconstruction et s’installèrent dans la forêt voisine pour protéger la communauté. Elle fut la première femme de sa descendance à créer un système de gouvernance à la fois prospère et juste dont le secret se perdit après sa mort. Lilly vécut un amour paisible avec Nali, qu’elle rencontra sur le chemin du retour, en Orient. Eleveur de moutons, il la vit un soir d’octobre tandis qu’il amenait son troupeau s’abreuver à la rivière où Lilly nageait. L’histoire dit qu’il n’eut d’yeux que pour elle et perdit la vue dès qu’elle s’éloigna. Elle le secourut alors que son troupeau et lui étaient sur le point de se faire dévorer par les loups. Après plusieurs semaines de convalescence, il lui déclara son amour et décida de quitter les siens pour la suivre. Ils auront trois enfants, deux fils et une fille, Nala qui deviendra la grand-mère d’Orgia. A la mort de Nali, Lilly confia la tribu avec son accord, à un collège de sept femmes et partit vivre en ermite sur une île avoisinante. On dit qu’elle y vécut avec les loups de son enfance jusqu’à sa disparition tardive, à l’âge de 89 ans. ORGIA Orgia est l’arrière petite fille de Lilly. Sa grand-mère, Nala est la fille de Lilly. Je dois vous raconter l’histoire de Nala car sa vie et ses choix eurent un grand impact sur la vie d’Orgia qui naît très loin de sa communauté, sur une île où rien ne pousse. Nala grandit en paix dans une communauté grandement améliorée par le règne de Lilly. Désormais, on y apprend les arts et le niveau scolaire a beaucoup évolué depuis l’époque d’Areina. Jusque là l’histoire se résumait à celle de la communauté. Lilly y ajoute l’histoire du monde et des territoires ainsi que celle des religions et des esprits, l’art du combat et les lettres. Nala est toute petite et très différente des autres femmes de sa tribu qui sont grandes et fortes. Elle ne veut pas se battre et refuse d’apprendre le combat. La meilleure élève de sa communauté, elle est choisie à 16 ans pour accompagner le grand savant du village dans son voyage. Chaque année le grand savant Ilios va chercher une fleur sauvage très rare, tout en haut des montagnes du Sud. Pendant plusieurs années, Nala apprend avec Ilios, l’histoire du monde, la philosophie et les langues. Elle aimait tant le voyage qu’Ilios l’emmena encore plus loin, au bord de la grotte de Vuntix où l’aurore est couleur sang. Douée d’une grande empathie, elle parlait couramment une dizaine de langues et plusieurs dialectes tribaux. Ilios lui apprit aussi le langage des fleurs et de la rosée matinale. Après cinq ans d’apprentissage, elle choisit de rentrer chez elle, seule. Ilios l’accompagna jusqu’à la mer de Dresde qu’elle longera plusieurs mois. Sur le point d’arriver chez elle, elle rencontre un groupe d’hommes touchés par une maladie rare qui leur déforme le visage. Sans penser au risque que représente cette maladie très contagieuse, elle construit une hutte où elle recueillera plus d’une centaine de malades aux alentours. Elle met à profit sa vaste éducation et crée des crèmes, onguents et huiles essentielles de plantes rares qui viendront à bout de ce qui se dessine alors comme une vaste épidémie. Elle s’éprend de Haskial, un malade qui, une fois guéri, resta à ses côtés. Il est dit qu’il dut lutter plusieurs mois avant que la très raisonnable Nala ne céda, amoureuse. Décidée à retrouver les siens, elle prend la route avec Haskial un jour d’été. Les malades désormais guéris la couvrent de trésors et métaux précieux. Ils parcourent les plaines du centre et les rivières de Lux où le soleil ne se couche pas. Nala et Haskial se sont connus en dehors de tout cadre social, ils n’ont jamais pensé à se demander leurs origines et appartenances tribales. C’est à leur arrivée dans la communauté qu’ils apprennent la dure réalité. Lilly et toute sa communauté sont heureux de la retrouver, mais dès le départ, Haskial est interdit d’entrer et une vive inimitié s’exprime à son égard. Lilly a beau tenter de calmer les esprits, rien n’y fait. Nala découvre qu’Haskial appartient à une tribu ennemie de longue date. Depuis plusieurs générations, les Areinas et les Noulous s’opposent sur la répartition des ressources et de l’eau qui commence à manquer dans la région. Plusieurs femmes sont mortes déshydratées dans la tribu d’Areina, suite aux déviations des cours d’eau collectifs par les Noulous. Réalisant que son alliance ne sera jamais acceptée, elle prend congé des siens et part avec Haskial en pleine nuit sans jamais se retourner. Malgré leur amour, ils porteront le poids de cet exil tout au long de leur vie. Lilly comprendra alors la douleur terrible qu’elle causa à son père à son départ. Lilly ne revit jamais Nala. Nala et Haskial partent pour un long périple, des rives de la méditerranée aux côtes de l’Islande actuelle. Nala accouche en chemin du père d’Orgia, Elios, nommé ainsi comme symbole de lumière et en l’honneur du grand savant avec lequel sa mère avait voyagé pendant des années. Ils prirent refuge dans une vallée verdoyante, au cœur d’une île isolée. Elios grandit sans jamais savoir d’où il venait. Nala et Haskial ne parviennent pas à transmettre leur histoire, la douleur est trop grande. Soucieux de protéger leur descendance de cette blessure, ils choisissent le silence. Elios est un enfant chétif et solitaire. Il n’est pas doué pour la vie quotidienne. Dès l’âge de 7 ans, il s’échappe souvent plusieurs semaines et s’en va vivre dans les profondeurs de la vallée. Il n’a qu’une passion, la musique. Il passera la majeure partie de sa vie à confectionner de nouveaux instruments avec les matières naturelles qui l’entourent. Il s’inspire des cris animaux pour créer un vaste catalogue de sons que ses descendants reprendront des dizaines d’années, après sa disparition. Déjà âgé de plus de cinquante ans, il rencontre Myria, jeune femme sauvage dont on dit qu’elle était habitée par une présence divine. Elle passait ses journées à observer le rythme des saisons et vivait seule dans une hutte sur le bord de l’eau. Elios tomba fou amoureux d’elle et resta des heures devant sa hutte à lui jouer des ballades magiques. Ils eurent une fille, Orgia. Vivant en quasi autarcie tous les trois, Orgia ne va pas à l’école et vit telle une enfant sauvage, le plus souvent abandonnée à elle-même. Orgia naît anxieuse et peu encline au mode de vie de ses parents. Elle s’échappe souvent dès l’âge de 4 ans pour aller voir sa grand mère Nala, restée dans la partie centrale de l’île. Elle n’a de cesse de la questionner sur ses origines. D’où vient-elle ? Pourquoi n’a-t-elle pas d’ancêtres ? Pourquoi vivent-ils seuls sur cette île ? Malgré la force de son obsession, Orgia n’obtient jamais de réponse. Avec le temps, elle ne posa plus de questions et cessa de parler. Seule à souffrir de cette absence d’histoire, elle eut pour refuge la compagnie des hiboux harfang, grands hiboux au plumage blanc tacheté qui peuplaient la forêt côtière de l’île où ses parents s’étaient installés. La nuit, elle les regardait chasser avec fascination. Le jour, Elle s’accrochait à leurs pates crochues et connaissait le bonheur de l’envol tandis qu’ils tournoyaient autour de l’île. Avec le temps, ils l’avaient adoptée et il n’était pas rare qu’ils viennent la chercher chez elle. Grisée, elle aimait à regarder l’île minuscule à ses pieds et rêvait de voyage, de partir loin. A l’âge de 8 ans, elle connut son premier drame, elle était devenue trop lourde pour cet exercice. Elle ne se remit jamais de ne pas avoir d’ailes et chercha toute sa vie à s’approcher du plaisir de l’envol. C’est peut être ce qui explique sa fascination pour les plaisirs de la vie, en particulier ceux de la chair. A l’âge de 13 ans, Orgia prit la route à la recherche de ses racines. Elle ne prévint personne et partit à l’aube un matin ensoleillé d’hiver. Elle ne ressentit jamais d’attachement à sa famille. Ses parents avaient leur amour et ses grands parents leur oubli. Elle n’avait pas tort, son départ ne causa pas plus de surprise ou d’émoi que cela. On raconte qu’un fermier la trouva sur le bord de la route, à l’article de la mort et qu’elle demeura dans sa famille plusieurs mois. Elle y apprit les travaux de la ferme et se révéla très douée pour l’élevage des animaux sauvages. Des années plus tard, alors qu’elle a 60 ans ; Orgia revint voir ceux qui lui avaient sauvés la vie et qu’elle considérait comme sa véritable famille. Après cette escale à quelques dizaines de km de chez elle, elle reprend la route malgré les conseils de sa famille d’adoption. Elle n’y peut rien, elle doit s’éloigner de ces lieux maudits où elle ne connut que tristesse et solitude. Une seule obsession l’habite, retrouver les siens que sa grand-mère Nala avait été si prompte à quitter pour toujours. Durant son voyage, elle rencontre chamanes et être spirituels dont elle apprit beaucoup. Orgia ne trouvait pas de bonheur aux religions de son époque comme celle de ce dieu étrange que priait sa grand-mère nuit et jour. Pourtant, elle développa une passion intense pour les récits mythologiques et les êtres invisibles dont on dit qu’elle en rencontra plusieurs au cours de sa vie. C’est très tôt qu’elle prend le réflexe de noter tout ce qu’elle observe sur des carnets faits de feuilles et de terre qui ne la quittent jamais. Empreinte du désir de ressentir et donner du plaisir, elle passa une grande partie de sa vie à faire l’amour. Femmes, hommes, elle n’avait pas de préférence, uniquement l’instinct de repousser les limites du désir, d’apprendre toujours et encore. Il émanait de sa personne quelque chose de profondément atemporel. Nul ne savait son âge, ni belle ni laide, elle était la source d’un désir profond pour hommes et femmes de tout âge. Sa liberté totale, son absence d’attaches ou de règles tout en étant profondément équilibrée, générait une attirance instinctive Peu à peu elle voit dans ce don la possibilité d’aller au delà d’un plaisir individuel. Elle commence par créer des groupes de plaisir entre femmes où celles ci discutent librement de leur corps et leurs frustrations. Puis peu à peu les hommes viennent la trouver pour apprendre à satisfaire leurs femmes. Elle considéra très tôt que le désir n’était pas chose belle. Le plaisir devint rapidement une forme de rituel quotidien, comme pour d’autres, manger ou s’endormir. Jouir, c’était pour Orgia, s’évader. Retrouver la sensation troublante des premiers vols au dessus de l’île. S’élever et se voir tout en bas, se préférer en haut. De cet instinct elle fit un métier, ancêtre de la sexologie. Elle fut la première femme à réunir des témoignages uniques sur la sexualité des femmes et des hommes de son époque. Elle mit sur pied des tests avec des sujets animaux puis humains et créa une méthode d’enseignement de la sexualité qui y révolutionna le sens du plaisir indépendamment de la procréation. Elle préconisait un équilibre entre la pratique et la théorie, ce qui ne manqua pas d’en scandaliser quelques uns. Elle organisait notamment des séances de masturbation collective et des introductions à l’amour oral. Elle donnera son nom aux mot Orgie et Orgasme. Orgia mettra douze années à retrouver les traces de sa tribu, celle d’Areina son ancêtre. L’amour monogame ne l’intéressa jamais. Ni celui d’enfanter. L’amour elle le trouva dans celui qu’elle portait à toute chose et toute personne. Orgia aimait tellement la vie qu’elle lui rendit la politesse. Orgia ne manqua jamais d’amour. Il est dit qu’elle eut plus de 3000 amants au cours de sa vie. Elle retrouva sa communauté d’origine, des années après le départ de sa grand-mère Nala. Ceux en âge de se souvenir furent prit d’une grande émotion à l’écoute de son récit. Farouchement solitaire et libre, Orgia avait besoin de son espace et s’installa dans une grotte où elle menait ses expériences et documentait ses recherches. Elle avait trouvé le moyen d’enfermer les récits et témoignages dans l’espace de la grotte, si bien qu’elle pouvait à tous moments, réécouter telle ou telle voix d’un seul geste agile de la main. Ancrée profondément dans le présent comme beaucoup des femmes de sa communauté, elle ne prépara pas sa transmission et personne ne retrouva jamais le chemin de la grotte. Des centaines de voix, râles et gémissements de plaisir et de curiosité, hantent les tréfonds d’une cavité naturelle, quelque part entre L’Italie et la Grèce actuelle. Orgia devint une figure respectée et aimée de sa tribu, une sorte de divinité humanisée. Ayant choisi de vivre la moitié de son temps seule, au milieu de sa grotte, elle passait le reste du temps dans le temple du plaisir qu’elle avait crée au sein de sa tribu. Quand elle eut 80 ans, elle choisit de se retirer en ermite dans sa grotte dont elle ne partit plus jusqu’à sa mort en plein orgasme, à l’âge de 93 ans. Il n’était pas rare alors que les gens fassent le voyage pour lui apporter nourritures, bijoux et offrandes. Elle fut enterrée telle une déesse, entourée de ses richesses, dans un recoin secret de la grotte. Elle est encore vénérée par certains anciens qui en son honneur, chaque année, dansent et récitent des incantations ancestrales. Nombreux sont ceux qui tentèrent de retrouver sa sépulture, personne n’y parvint jamais. Ces trois femmes, Areina, Lilly et Orgia ont pris d’autres formes au travers des siècles, elles sont parmi nous aujourd’hui, déesses secrètes et courageuses, libres et solitaires. Cette histoire leur est dédiée. Il n’y a pas d’Eve.

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