
Choc émotionnel: le corps dans tous ses états.
Réflexions sur l’expérience de la douleur et ses temporalités. D’après le journal anonyme « Chambre 1731 »
Résumé :
Ce texte, écrit sous une forme scientifique d’apparence documentaire, est entièrement fictionnel. Il vient mêler la parole de deux femmes : l’une est médecin dermatologue spécialisée dans les maladies chroniques et l’impact de l’état émotionnel sur leur évolution. L’autre, est atteinte d’une maladie chronique évolutive qui empire considérablement suite à un choc émotionnel violent. La rencontre n’a semble-t-il pas eu lieu, là n’est d’ailleurs pas la question. Elle se fera au travers de carnets, envoyés par la patiente à la dermatologue qui tentera d’en honorer l’héritage symbolique. Le récit est donc construit en alternance entre l’analyse d’une femme de science sur le récit, écrit sous forme de journal, d’une autre femme, malade. La douleur se conjugue ici à la fois à la première et à la troisième personne. Cette distance permet une plongée dans les interactions complexes, entre douleur physique et souffrance émotionnelle, dont le corps porte ici les stigmates à vie.
Abstract :
This text, written in a scientific form of documentary appearance, is entirely fictional. The speech of two women come to meet: one is a dermatologist doctor specialized in chronic diseases and the impact of emotional state on their evolution. The other is suffering from an evolving chronic disease that worsens considerably following a violent emotional shock. The meeting does not seem to have taken place, this is not the question here. The encounter takes place through notebooks, sent by the patient to the dermatologist who will try to honor this symbolic inheritance. The narrative is thus constructed alternately between the analysis of a woman of science on a story, written in the form of a diary, by another woman with an evolutive disease. Pain is described here in both the first and the third person. This distance allows a dive into the complex interactions between physical pain and emotional suffering, resulting here in life longing stigmas on the body.
Mots clés : Peau, Choc émotionnel, Douleur, Maladie chronique, Stigmates.
Keywords : Skin, Emotional schock, Pain, Chronic illness, Stigmas.
« La douleur n’est jamais le simple prolongement d’une altération organique, mais une activité de sens pour l’homme qui en souffre » (David Le Breton, 2009, 324-3).
« Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau » (Paul Valery, 1933, 23-2).
1. Le choc émotionnel et la chute.
Avant la douleur, il y le choc et la chute du corps qui lui emboîte le pas. Dans le cas du choc émotionnel, la chute part de l’intérieur, telle une implosion. Le corps s’emballe et vient interpeler son occupant du danger en cours. L’interface entre intériorité et extériorité lâche, Le dehors et dedans se mêlent, s’inversent. En une seconde, quelque chose se brise. Le choc laissera des traces plus ou moins pérennes sur le corps .
Comme l’écrit le médecin et addictologue, Gabor Maté dans « Quand le corps dit non », l’impact physiologique des émotions est encore loin d’être pleinement reconnu. L’approche médicale continue en grande majorité de considérer le corps comme distinct de l’esprit et de l’environnement dans lequel il évolue. Or, le stress et ses éléments déclencheurs ne se limitent pas à une sensation subjective et émotionnelle. L’impact du stress sur certaines maladies chroniques est une théorie émise dès la fin du 19ème siècle par le médecin canadien William Osler . Plus tard, Hans Selye, médecin québécois et pionnier des recherches sur le stress, le définit comme étant l’ensemble des altérations physiologiques, qu’elles soient ou non visibles, qui surgissent quand le corps se sent menacé, dans son existence et son bien être. Le stress excessif comme dans le cas d’un choc émotionnel, survient quand ce qui est demandé à l’organisme, dépasse largement ses capacités à le satisfaire . Les découvertes les plus récentes en neuroscience (années 90) confirment ces intuitions en travaillant sur les liens entre système immunitaire, hormones et système psychique .
- Je suis fatiguée…
Ma main gauche a lâché, je ne sais même pas si c’est moi qui ai raccroché. Je prends la décision de ne plus l’aimer, détruire ce qu’il a bien voulu laisser et ce faisant une partie de mon coeur et près de 10 ans de ma vie.
Le temps est doux, presque moite cette nuit là. Tout semble si calme en comparaison du chaos qui m’emporte. En m’endormant, je n’entends que le son des battements de mon coeur qui s’emballent, ma tête est lourde, habitée par d’autres mots. J’ai l’impression de sombrer physiquement dans le sommeil, comme une chute dans le vide. Je tombe sans faire un geste.
Le lendemain, ma peau se couvre entièrement de plaques rouge vif. Je suis engluée dans les sables mouvants, momifiée, brulée à vif, à moitié vive. Plus un centimètre de peau « saine », des plaques de peau en épaisseur qui ne cessent de s’écailler, les douleurs terribles d’une enveloppe à vif qui a changé de texture… et d’odeur. Quand on a ramassé sa peau morte chaque jour, on n’est plus tout à fait la même personne. Comme si l’on percevait ce qu’il y a en-dessous de ce qu’ils voient. Il y a quelque chose d’extrêmement tangible dans ces mues successives qui n’aboutissent pas.
Au delà du choc du moi devenu « monstrueux »; il y a la grande difficulté à appréhender mon corps. Je ne le reconnais pas, il n’est pas mien et pourtant il crie au secours et s’en remet à moi, corps et âme .
A l’époque je commençais ma recherche en psycho dermatologie et anthropologie de la douleur. Selon le principe de la dermo-science , je me concentrais sur l’enveloppe peau afin de mieux comprendre les fonctions, la défense ou les échanges qui s’y jouent avec l’ensemble du corps. Ce que François Dagognet appelle le « dehors du dedans », où la peau est comprise dans sa fonction d’organe central et non périphérique .
J’avais choisi de travailler sur les maladies dermatologiques et l’impact de l’état émotionnel sur leur évolution. Cela comprenait des expérimentations en laboratoire mais surtout l’écoute et l’observation en soins hospitaliers d’un corpus de patients atteints de troubles dermatologiques chroniques graves. Je voulais démontrer ce qui se jouait, sur et sous la peau. J’étais jeune.
Un matin je reçois un colis au laboratoire. Ce n’est pas habituel. A l’intérieur, deux piles bien ajustées de 12 carnets noirs tous nommés « Chambre 1731 ». Les pages sont datées, couvertes de notes et d’illustrations multicolores. Au fond du carton, juste un mot écrit avec soin.
« Je voudrais que vous en fassiez quelque chose, ce qui vous semblera le plus juste ».
Elle avait tout noté, le jour, l’heure, chaque détail avant et après son hospitalisation.
Elle y raconte les plaies, les plaques, les mues, la douleur devenue chronique, le choc installé sur des années. Atteinte de psoriasis, elle avait développé, suite au choc, une polyarthrite rhumatoïde. Son choc émotionnel était une séparation amoureuse. La violence du stress avait provoqué chez elle une réaction physiologique paradoxale. En gros, au lieu de se défendre contre le stress, l’organisme s’était attaqué à lui même . En plus de souffrir, elle a eu mal.
Je l’ai appelée Anna.
Son premier texte date de moins d’un an après son hospitalisation. C’était il y a vingt ans.
Ils ont mis une semaine à trouver comment apaiser la douleur qui me parcoure de part en part. Je hurle, folle enragée, je ne suis plus moi. La douleur brule ma peau et la traverse jusqu’au creux de mes os. Elle est à la fois aiguë et lancinante. J’ai l’impression de pourrir sur place. La morphine ne fonctionne pas, même à haute dose. Ils sont démunis, je suis effrayée.
Je ramasse ma peau et pendant ce temps, je continue de peler. L’absurdité est si concrète, si terrifiante. Mon corps, je le vois désormais par parcelles, morcelé. Je me demande ce que c’est que d’être humain et pourquoi la peau est capable de tant de transformations si seule une version est la bonne?
Ma peau réclame son statut de matière. Elle semble tour à tour, cuir tannée, peau brûlée, tuméfiée, mue animale. Je suis comme parée d’une peau de chair, pas tout à fait moi-même ni tout à fait une autre. Je suis proie et bourreau. Car c’est mon corps qui s’attaque à lui même. Je suis en plein paradoxe auto-sadique. L’horreur m’est coupable.
Honteuse et endolorie, j’assiste autant effrayée que fascinée, à la transformation abrupte et lente de mon corps. Je pense à Kafka, je me sens Bête. Je suis devenue monstre et je n’ai rien gagné en échange. Je ne suis pas La Bête, pas de pouvoir magique et Belle à mes côtés. Je suis Grégor Samsa en pleine chute d’Alice, sans les merveilles. L’implacable fatigue d’un corps qui lâche, et la chute qui continue pendant ce temps là. La transformation semble à la fois immédiate et terriblement lente. La douleur déforme mes membres des extrémités. Pieds et mains liés. Je n’ai plus aucun repère. Rien n’a plus désormais la grâce de faire sens. Un peu comme si j’avais été le témoin de quelque chose de terrible, dont personne ne parle jamais. Comme une part très intérieure, tapie au creux de nos dénis.
2. Quelle douleur ? Temporalités.
Notes sur l’écriture de la douleur.
« La nuit est aussi un soleil » (Ainsi parlait Zarathoustra, 1903, 459-2).
Anna écrira 12 ans durant. Dans les derniers carnets, l’analyse est de plus en plus lucide, le ressenti de la douleur plus méthodique, comme distancié, accepté. A la fin il n’y a plus de colère.
Car écrire implique une distance temporelle et cathartique à l’objet de douleur. Quand Anna écrit, elle est sortie des affres du Tout douleur. A nouveau parmi les vivants, capable d’être au monde, de sortir de son corps. Pendant la douleur du choc, l’esprit est englué dans la pesanteur d’un corps meurtri. Rien d’autre n’est .
Après le silence implacable de la douleur, écrire c’est mettre des sons et trouver « dans la chair même de la langue » le juste mot. Ecrire c’est dire, rendre public tandis que la douleur est intime, réserve, ombre.
La douleur est intérieure, elle est émotionnelle, tristesse, perte et folie. La douleur est extérieure, elle est choc, impact, mise à vif . Elle réunit l’intérieur et l’extérieur. Il n’y a plus de scission, l’esprit ne domine plus son enveloppe. La douleur n’a plus ni début ni fin. C’est la prise de conscience d’une unité désunie, oubliée .
Ce corps abîmé ce n’était pas le mien et en même temps, il n’avait jamais été autant à l’image de mon ressenti intérieur. Je suis comme retournée, ouverte, je ne peux plus dissimuler la douleur profonde, celle qui s’installe dans les replis douillets de la chair pour nous rappeler à chaque geste de sa présence. Cette fois la déchirure a transpercé toutes les couches de peaux pour faire son nid.
La peine dévore mon visage et défigure mon corps. Je ne suis plus qu’une plaie béante, incapable de contact hors de la douleur.
Ma peau guerrière sonne l’alarme et révèle la meurtrissure du choc. Comme si mon corps en tombant, me sauvait la vie.
Au fil des pages, Anna instaure une distance émotionnelle, même grammaticale à sa douleur. C’est aussi ce qui confère à cet acte un pouvoir cathartique fort. Le ressenti est exprimé puis consigné, retransmis, mis en mots et donc extériorisé. La douleur intérieure se tait, elle n’a plus le dessus; le silence est rompu. Le temps muet de la douleur laisse place à la conscience plus ou moins apaisée d’une blessure.
Dans la plupart des cas, il restera une cicatrice, une trace physique et émotionnelle du choc. Il y aura un avant et un après la douleur.
Même après la cicatrisation de la surface, je n’ai pas reconnu mon enveloppe corporelle. J’attendais tant ce moment, « faire à nouveau corps ». Je cherchais les traces d’une unité révolue que j’avais si longtemps ignorée. Je me souviens d’un livre que très jeune, j’avais découvert dans la bibliothèque de mes parents. Le titre était visuel, cela m'avait attirée : « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau ». L’auteur et jeune neurologue Oliver Sacks, racontait les désordres possibles du cerveau humain à travers l’histoire détaillée de ses patients. Ce livre m’avait marquée. Il organisait son récit en deux chapitres: les désordres de l’ordre du déficit et ceux de l’excès. Les premiers avaient perdu quelque chose (perception de soi, du temps, sensations) tandis que les seconds étaient littéralement dans le trop (tics, troubles obsessionnels, tremblements) . J’étais fascinée par les premiers. Certains ne reconnaissaient plus une partie de leur corps, perte de la proprioception. Je me souviens de cette femme qui passait son temps à essayer d’envoyer valdinguer sa jambe gauche hors de son lit « elle n’est pas à moi ! » s’écriait-elle. Sacks lui avait répondu « Mais si cette jambe ne vous appartient pas, à qui est-elle ? ». Il s’en était terriblement voulu à posteriori. La patiente avait marqué une pause, comme arrêtée net dans la frayeur de cette sensation de greffe. J’avais l’impression de la voir. Je me souviens que ça m’avait bouleversée.
Aujourd’hui je la comprends. Je suis comme éclatée par l’impact.
J’ai l’impression qui ne me quitte pas que mes mains se sont mal rattachées. Comme si elles étaient déconnectées du reste de mon corps. Au début, la douleur était franche, concrète, dévorante. Je ne pensais à rien d’autre. Mes pieds étendus sous un drap fin qui me semblait linceul. Mes mains gisaient de chaque côté de mon corps, enflées, inertes, étrangères. Je pouvais les oublier, me dire que ça passerait. Depuis, leur maladresse est douloureuse. Parfois, je tremble tant que je ne peux rien tenir, porter, toucher. Mes poignets sont enflés, rigides, mes mains semblent désarticulés et ne retiennent rien, comme si elles avaient abandonné la partie. A quoi bon? Semblent-elles me dire. Je leur réponds que ça ira, que ça passera mais je vois bien qu’elles devinent mon effroi. Quel bonheur quand le geste se fait sans heurt. L’absence de douleur est une grande victoire sur la vie. Ce n’est pas grand chose mais celui qui a eu mal sait que c’est absolument tout.
Comment je fais pour me re-lier au monde quand mes mains s’y dérobent. Quel contact ? Quel lien puis-je re-créer tandis qu’elles s’échappent à mon contrôle et au réel qui les entourent ? Notre premier lien à l’autre, aux éléments, à la vie, ne m’est plus inconscient.
Mes mains n’auront plus jamais la même évidence et ce que cela implique me semble parfois abyssal.
Car il s’agit bien de rendre compte d’une expérience. Bien qu’il porte le nom de choc, le processus de douleur et déclenchement d’un effet physiologique, implique une durée. Un temps long pendant lequel la souffrance génère de la douleur qui vient augmenter la souffrance . Puis dans certains cas, le patient se remettra de la phase physiologique et se concentrera sur le travail de deuil émotionnel. Pour de nombreux autres et en particulier les patients atteints de maladie auto-immune, le choc déclenchera un traumatisme profond qui prendra la forme d’une maladie chronique. Il faudra lors à la fois apprendre à vivre avec ces stigmates tout en soignant la cause émotionnelle. Nous nous éloignons dès lors du cadre défini d’une temporalité où la personne atteinte en sortirait indemne et où la douleur ne durerait qu’un temps. Le choc génère ici une durée de la douleur et l’expérience d’une transformation continue de son ressenti. En d’autres mots, le choc s’installe et il va falloir vivre avec.
3. Les maux. La Douleur après la douleur.
Le diagnostic est tombé, un an et demi après. Polyarthrite, rien que le mot fait mal.
C’est un peu comme si ma maladie de peau était passée de l’autre côté. Mes plaques se baladent le long de mes articulations. En apparence, le mal est parti et parfois j’arrive même à y croire. Dans les moments de désarroi, j’ai l’impression d’être menottée, ma douleur me tenaille aux poignets et aux chevilles. Je suis enchaînée à un passé qui se rappelle à moi, alors que je le sais, mon salut passe par une distanciation de ce qui fut ou aurait pu être. Les mauvais jours, je porte ma main gauche comme un objet encombrant, mon genou refuse et mes pieds se dérobent. La douleur se niche dans mes mouvements les plus ténus. Je mesure chaque pas, chaque geste. Depuis j’ai peur de tomber et je descends les escaliers comme des personnes qui ont le double de mon âge.
Et puis il y a tout ce que je ne pourrai plus faire. Le deuil est long, il me semble sans fin.
L’épiderme a ceci de particulier qu’il doit résoudre cette contradiction objective , à la fois demeurer en contact, alerter de la pression opérée sur soi, mais ne pas en être atteint ni même en souffrir. La peau se doit d’être sensible, fragile, perméable mais coriace. Elle a pour fonction de nous protéger mais aussi celle de nous alerter du danger. Dans les cas de dermatites sévères suite à des chocs, la pression opérée est trop forte, la peau lâche. Il n’y a pas eu de temps entre l’alerte du danger et son occupation totale du terrain . Il y a éclatement de ce qui constituait le corps identitaire et donc bouleversement immédiat de ce que Didier Anzieu nomme « Le moi-peau ».
« La peau apparaît dès lors comme un palimpseste de notre expérience au monde qui garde les stigmates de nos blessures et de nos déchirures (…) ».
Le plus souvent, on parle plus du moment de la douleur extrême, immédiate. Il peut être long mais il a un temps. Car c’est souvent ce qui vient après le choc qui terrasse. Ensuite viennent les maux, Les cicatrices, l’handicap, ce qui ne s’effacera pas. C’est la douleur après la douleur.
Cela fait maintenant plus de cinq ans. La vie n’a pas le même goût mais quelque part je m’en accommode et je parviens même parfois à déceler le miel dans l’amertume. Mon passé est clos. Les ruines sont en quelques sortes rangées, comme ordonnées. Leur destruction ne me fait plus violence. Elle est.
Paradoxalement c’est maintenant qu’une autre douleur émerge. Un peu comme si reprendre goût, c’était ressentir à nouveau des émotions qui me brulent à vif. Je suis sortie de ma douloureuse torpeur. Le mur que ma douleur maintenait entre les autres, le réel et moi, est tombé. Je peux à nouveau regarder autour de moi en silence, plus de musique ou de mots en continu dans les oreilles pour éloigner l’angoisse terrassante de vivre. Ce silence ne me fait plus peur mais il me révèle ma nouvelle place au monde. Je suis si loin de tous ces gens qui vivent. Je les regarde danser avec la mer, courir, crier, s’aimer et se battre. Tout cela me parvient de loin comme une image au ralenti qui me révèle l’ampleur de ma solitude. Je me suis relevée mais j’ai la gueule en sang, le cœur vide. « Ils ont beau vouloir nous comprendre ceux qui nous viennent les mains nues … » Curieux comme on comprend les mots autrement quand la vie nous livre enfin leur sens, en toute transparence. Je me suis battue pour re-vivre, faire peau neuve, faire corps avec mes blessures, cicatriser, lâcher l’armure, regarder mes fêlures en face, accepter la maladie qui évoluera et me tiendra la main jusqu’à la fin ; J’ai tout dépassé et je réalise aujourd’hui que c’est peut être la solitude qui finira par m’emporter.
Je ne peux plus faire sens seule, seul l’amour pourra me sauver de cette nuit qui n’en finit plus.
Je n’ai jamais oublié ces carnets. J’ai tenté de respecter son souhait en publiant plusieurs articles sur le choc émotionnel et l’impact physiologique du stress sur le déclenchement de certaines maladies chroniques. En conférence, ils sont nombreux à être venus me voir après pour partager leurs histoires, touchés par ce récit. Cela a d’ailleurs eu un impact sur mon travail et ma recherche, ou plutôt ma manière de les mener.
J’avais développé un lien d’intimité à cette histoire qui m’avait été confiée, sans que je ne comprenne bien pourquoi. J’ai tenté de retrouver sa trace à maintes reprises, sans succès. Alors j’ai rangé les carnets avec soin, dans une grande boîte rose, nichée au cœur de mes livres.
Il y a quelques mois, une jeune femme s’est présentée en me disant être la fille de l’auteure des carnets. Elle avait les traits fins, la peau irisée et un je ne sais quoi de maladroit. Elle parlait très vite tout en dégageant un calme rare pour son âge. Elle ne m’a pas dit grand-chose. Juste qu’elle venait d’apprendre mon existence et celle de ces carnets. C’est tout.
Je lui ai remis la boîte qu’elle a longuement regardé avant de se lever et de partir en silence.
Je sens que c’est elle qui trouvera la forme la plus juste.
Ouvrages Cités
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Chambre 1731, Journal anonyme.
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